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Acheteurs publics : le Conseil d’Etat renforce le devoir d’impartialité !

Par un arrêt en date du 25 novembre 2021 publié au Recueil, le Conseil d’Etat a jugé que l’existence d’une situation de conflit d’intérêt caractérise une méconnaissance du principe d’impartialité par le pouvoir adjudicateur, qui constitue un vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation du contrat.

En l’espèce, le 21 septembre 2018, la collectivité de Corse a conclu un accord-cadre à bons de commande avec montants minimum et maximum avec la société NXO France à la suite d’une procédure formalisée.

Or, le technicien de la collectivité en charge de l’appel d’offre occupait, moins de trois mois avant l’attribution du marché, des fonctions d’une certaine importance et en lien avec le contenu du marché au sein de l’entreprise attributaire.

La société Corsica Networks, candidate évincée, a introduit un recours en annulation du contrat et en indemnisation des préjudices subis du fait de son éviction à hauteur de 282 585 € H.T.

Par un jugement en date du 9 juin 2020, le tribunal administratif de Bastia a rejeté les demandes de la société, qui a alors interjeté appel contre ce jugement.

Par un arrêt n° 20MA02773 en date du 14 juin 2021, la cour administrative d’appel de Marseille a fait droit aux demandes de l’appelante et a, d’une part, annulé le marché à compter du 15 décembre 2021, d’autre part, ordonné une expertise sur l’évaluation du manque à gagner.  

En réponse au pourvoi en cassation de la collectivité de Corse, le Conseil d’Etat confirme l’arrêt de la cour administrative d’appel.

En premier lieu, les juges rappellent l’office du juge du plein contentieux, saisi d’un recours en contestation de la validité du contrat, tenant à ce que le juge vérifie d’abord l’existence de vices avant d’en examiner les conséquences, étant entendu que l’annulation du contrat ne peut être prononcée qu’en cas de vices d’une particulière gravité (CE, Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994).

En second lieu, il indique que « l’existence d’une situation de conflit d’intérêts au cours de la procédure d’attribution du marché est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d’entacher la validité du contrat ».

En l’espèce, la simple participation du salarié de la collectivité, récemment en poste au sein de l’entreprise attributaire, caractérisait une situation de conflit d’intérêts de nature à faire naître un doute légitime sur l’impartialité de la procédure.  

L’apport principal de cet arrêt se trouve dans l’office du juge saisi d’un tel vice et les conséquences attachées à ce vice sur le contrat litigieux :

En second lieu, contrairement à ce que soutient la collectivité de Corse, la cour administrative d’appel, dont l’arrêt est suffisamment motivé, n’a ni inexactement qualifié les faits ni commis d’erreur de droit en jugeant, sans relever une intention de sa part de favoriser un candidat, qu’eu égard à sa nature, la méconnaissance de ce principe d’impartialité était par elle-même constitutive d’un vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation du contrat à l’exclusion de toute autre mesure.

Ainsi, une situation de conflit d’intérêt constitue automatiquement un manquement au principe général du droit d’impartialité s’imposant à toute autorité administrative, manquement qui lui-même constitue automatiquement un vice entrainant l’annulation du contrat.

Cette solution prolonge la jurisprudence antérieure selon laquelle la présence d’un vice d’une quelconque nature, s’il révèle « une volonté de la personne publique de favoriser un candidat », doit entrainer l’annulation du marché (CE, 15 mars 2019, n° 413584, Publié au recueil Lebon).

En dernier lieu, le Conseil d’Etat fait une application classique de sa jurisprudence relative à l’indemnisation du préjudice subi du fait de l’irrégularité de la procédure de passation en examinant les chances de succès du candidat irrégulièrement évincé (voir par exemple : CE, 2 décembre 2019, n° 423936).

Ainsi, le caractère automatique de l’annulation du contrat en cas de méconnaissance du principe d’impartialité oblige les acheteurs publics à être particulièrement vigilants au cours de la procédure de passation.

Pour rappel, la situation de conflit d’intérêt est aujourd’hui définie à l’article L. 2141-10 du code de la commande publique :

Constitue une situation de conflit d’intérêts toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché public ou est susceptible d’en influencer l’issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché public

Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 25 novembre 2021, 454466, Publié au recueil Lebon