Si un participant à un marché public de travaux pouvait déjà rechercher la responsabilité des autres participants aux travaux, il ne pouvait pas se prévaloir des manquements contractuels de ces derniers. Par un arrêt en date du 11 octobre 2021, le Conseil d’Etat élargit les moyens invocables par les titulaires d’un marché public de travaux à l’encontre des autres participants.
En octobre 2012, la commune du Havre et l’établissement public foncier de Normandie ont conclu avec la société coopérative métropolitaine d’entreprise générale (CMEG) un marché de travaux portant sur le lot « gros œuvre » pour la réalisation du pôle éducatif et familial dans un lotissement d’un montant de 4 649 579,06 €.
La livraison du lot est intervenue avec six mois de retard entrainant des frais pour la société CMEG. Cette dernière estimait que ce retard était imputable à l’entreprise Belliard, titulaire du lot charpente, qui avait accusé 8 semaines de retard dans la réalisation de sa prestation.
La société CMEG a donc demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l’entreprise Belliard au paiement d’une somme de 386 032,43 € au titre des frais exposés en raison de son retard dans l’exécution des travaux.
Le tribunal administratif de Rouen puis la cour administrative d’appel de Douai ont rejeté ces demandes.
Pour rejeter cette demande, la CAA de Douai rappelle la jurisprudence classique selon laquelle si le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction, il ne peut invoquer que la violation des règles de l’art ou la méconnaissance des dispositions législatives et réglementaires.
En l’espèce, le Conseil d’Etat censure le raisonnement de la CAA en jugeant que :
« 2. Dans le cadre d’un litige né de l’exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n’est lié par aucun contrat, notamment s’ils ont commis des fautes qui ont contribué à l’inexécution de ses obligations contractuelles à l’égard du maître d’ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l’art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d’un manquement aux stipulations des contrats qu’ils ont conclus avec le maître d’ouvrage. »
Ce faisant, le Conseil d’Etat introduit une exception au principe de l’effet relatif des contrats à l’égard des tiers, exception qu’il limite toutefois aux opérations de construction (CE, Section, 11/07/2011, n° 339409, Publié au recueil Lebon).
Cette exception se justifie notamment au regard des obstacles que rencontraient les entreprises obtenir l’indemnisation des difficultés rencontrées dans l’exécution des marchés à forfait. En effet, elles ne pouvaient demander cette indemnisation au maître d’ouvrage qu’en démontrant soit le bouleversement de l’économie du contrat soit une faute de ce dernier.
Cette décision permet également de rapprocher les jurisprudences administratives et judiciaires puisque la Cour de Cassation admet qu’un manquement contractuel puisse constituer une faute délictuelle à l’égard des tiers (Cass., assemblée, 6 octobre 2006, 05-13.255, Publié au bulletin).
Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 11/10/2021, 438872, Publié au recueil Lebon